L’analyse


Je continue de donner la parole à des amis qui écrivent. Voici le deuxième texte.

« C’était une question de vie ou de mort. Je n’avais plus le choix. Le soir où je me suis assis dans ce fauteuil, je ne tenais plus. Je l’ai dit en ces termes. Les larmes aux yeux. La gorge nouée par l’angoisse. L’air ne passait plus. J’ai été clair sur ce que je voulais. Une analyse. Une vraie. Pas de psychothérapie. J’avais dépassé ce stade. Il y avait urgence. J’avais besoin d’un traitement de choc, un traitement en profondeur. Et pour ça, le face à face de la psychothérapie ne pouvait pas fonctionner. Il fallait que je puisse sortir toute cette pourriture que je trimbalait depuis toutes ces années. Et je ne pouvais pas le faire en regardant quelqu’un. Ni en voyant les expressions de son visage, les rictus et autres signes que pourrait laisser percer mon interlocuteur. En l’occurrence trice. La personne qui m’avait donné les coordonnées de la psychanalyste avec laquelle je me trouvais m‘avait demandé si je voulais un homme ou une femme. Je n’avais pas osé dire une femme. Sentant mon hésitation, il m’avait donné les coordonnées d’un et d’une psy. J’avais appelé les deux et j’avais rendez-vous avec les deux. Le rendez-vous avec la psy était avant celui avec le psy. Et je n’ai jamais vu le psy. La rencontre a eu lieu. Le contact s’est établi dès le premier rendez-vous.

Une question de vie ou de mort. Je l’ai vécu comme cela sur le moment et aujourd’hui encore je le revis de cette manière. J’étais au bord du gouffre. Je ne sais pas où je serai sans ce rendez-vous, sans cette analyse. Je ne tenais plus. Mon esprit était au bord de la rupture. Je donnais le change en public. Seule ma femme avait vu que je perdais les pédales. Elle seule. C’est elle qui m’avait dit d’aller consulter. C’est grâce à elle si je me suis bougé.
Je donnais le change. Les gens qui me croisaient, mes collègues, mon équipe qui me voyait tous les jours, mes amis. Personne ne voyait rien. Je jouais la comédie. Toute la journée. Je « jouais à faire semblant » comme disait Claude François. Pourtant, j’étais sous Prozac depuis de nombreux mois. Mais rien n’y faisait. Rien. L’angoisse était là. Mes obsessions prenaient le dessus. Mon quotidien était insoutenable. « Et l’angoisse atroce, despotique, sur mon crâne incliné, plante son drapeau noir ». Cette dernière phrase du poème de Baudelaire « Quand le ciel bas et lourd », je ne la vivais pas chaque jour, je la vivais chaque instant. Chaque minute. J’allais chez mon psychothérapeute chercher mon ordonnance de Prozac comme un drogué va chez son dealer. Et quand je n’avais plus de Prozac et pas encore de rendez-vous j’allais de pharmacie en pharmacie avec ma vielle ordonnance en espérant avoir ma drogue. Mais cela ne suffisait plus. Mon corps s’était habitué au traitement et mon esprit reprenait le dessus. L’angoisse était plus forte que tout. Chaque geste était une lutte que je perdais à chaque fois. Je devenais fou. Oui, je peux le dire maintenant. Non. Je ne suis pas guéri. On ne guérit pas des fonctionnements vieux de dizaines d’années en quelques mois de psy. C’est plus compliqué qu’il n’y paraît.

Je devenais fou. Mais impossible de rentrer plus dans les détails. C’est encore trop vif. Encore trop présent. Mon angoisse est toujours là. Je ne l’ai pas vaincue. Loin de là. J’ai encore peur d’elle. Elle prend encore le dessus de temps à autre.

Je devenais fou. Prozac le matin et alcool le soir. Et même avec ça je ne tenais plus. Mes obsessions me contrôlaient. Je finissais en nage et en larme. Parfois effondré par terre, seul, quand tout le monde dormait. Je recommençais sans cesse le même geste. Je relisais sans cesse la même phrase. Encore et encore. Une minute, deux, puis 10, puis 30, puis 1 heure, puis 2,… A refaire le même geste. A relire la même phrase. C’était insoutenable. Je me sentais si seul, si démuni face à mon angoisse. Si terrifié.
C’était une question de vie ou de mort. J’ai commencé cette analyse car c’était une question de vie ou de mort.

Je ne dénigre pas la psychothérapie. Absolument pas. J’ai pu passer à l’analyse, c’est-à-dire au fait d’être allongé, à un rythme de deux fois par semaine puis trois, grâce à la psychothérapie que j’avais faite des années auparavant. »